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À L’ACADÉMIE FRANÇAISE

arrivera qu’un incident fasse éclater soudain quelqu’une de ces profondes contradictions qui étaient toutes préparées, mais dormantes et insensibles dans les cœurs. Souvenez-vous, Messieurs ! Oublions aussitôt !

Il suffisait à l’auteur de l’Histoire contemporaine de prendre conscience d’un état si incohérent des êtres et des choses pour se confirmer dans ce scepticisme qui lui fut tant reproché.

Un sceptique est difficile à réduire. Il peut se borner à nous opposer que nos propres sentiments sur le doute sont curieusement divisés contre eux-mêmes. Nous prescrivons le doute dans les sciences ; nous l’exigeons dans les affaires. Mais voici tout à coup qu’on lui montre ses bornes, et qu’on lui refuse ce qu’on veut.

On oublie que chaque doctrine nous instruit d’abîmer les autres, et nous anime et nous enseigne à les ruiner. On nous prie que nous ne fassions point de comparaisons, que nous ne poussions nos raisonnements jusqu’à leur terme ; cependant qu’ils s’opèrent et se développent d’eux-mêmes dans nos esprits. On ne prend garde que le doute naît des choses mêmes. Il n’est dans son principe qu’un phénomène naturel, une réaction involontaire pour la défense du réel et du corporel contre des images insupportables ; et nous le voyons bien par ce qui arrive à une personne endormie, quand le songe qu’elle fait est si absurde qu’en l’absence même de la raison, cette absurdité à soi seule engendre une résistance merveilleuse, une réponse, une négation, un acte libérateur, un réveil, qui nous jette hors d’un monde impossible, qui nous rend aux choses probables, et nous fournit en même temps une sorte de définition physique et instinctive de l’absurdité.

Ce n’est donc point le sceptique qu’il faut tant accuser,