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À L’ACADÉMIE FRANÇAISE

Mais quand il serait vrai, et quand on pourrait établir qu’une assez grande partie de son œuvre fût demeurée en puissance sans la douce fermeté de cette affectueuse discipline, ce n’est que la malice toute seule qui pourrait en tirer avantage.

C’est le privilège des talents très précieux que d’exciter un tel instinct de leur défense, une affection aussi énergique, un zèle si soutenu pour une œuvre qui pourrait être, et qu’on sent profondément qu’il faut solliciter d’exister. N’est-ce donc rien que de s’attirer ce dévouement, si exact et si absolu qui n’eut enfin, pour sa suprême récompense, que le sentiment d’avoir servi à l’accomplissement d’une très belle destinée ?

C’est pourquoi, Messieurs, c’est vers l’œuvre accomplie qu’il faut diriger nos regards.

Cette œuvre existe et subsiste. Ses mérites sont aussi clairs qu’elle-même. Tout le monde connaît, tout le monde apprécie les perfections d’un art accompli jusqu’à l’exquise simplicité. Mais voici cette circonstance singulière dans la fortune de cette œuvre, qu’elle a obtenu la gloire si répandue que vous savez ; et davantage, une gloire presque populaire, par l’éminente séduction d’une forme très pure. Ceci est presque incroyable. C’est un phénomène sans exemple dans les lettres modernes, où l’on doit s’attendre toujours à ne voir accueillir par un immense public que les livres dont le fond dévore la forme, et dont les effets sont indépendants de la délicatesse des moyens.

Cette manière de prodige s’explique sans doute par les vertus de notre langage, profondément possédé, légèrement écrit par un auteur si expert. Il a démontré qu’il demeurait encore possible, dans notre langue, de faire sentir tout le prix d’une culture pro-