Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 5, 1935.djvu/30

Cette page n’a pas encore été corrigée
24
REMERCIEMENT

à l’ombre d’une immense institution. Il n’est plus de prébendes, plus d’abbayes. Il n’est plus de loisir dans la dignité. Notre société, toute exacte et matérielle, est au contraire assez remarquable par l’impuissance où elle se trouve de donner aux hommes de l’esprit une place nette et supportable dans sa gigantesque et grossière économie.

La situation était peut-être plus difficile encore à l’époque où votre confrère fit ses débuts dans la vie. Le siècle se montrait aussi incapable de renoncer à la multiplication des lettrés que de leur assigner des moyens d’existence. Que d’amertumes alors ! que de tristesses ! que de vies manquées ! appelées à la plus haute culture et vouées du même coup au dénuement ou aux besognes les plus basses. Il arrivait que les diplômes fussent des garanties de malheur et des recommandations à la détresse. Jules rallès, Alphonse Daudet nous ont laissé des livres véridiques et terribles sur ces misères cultivées. On dressait une quantité de jeunes hommes à ne savoir autre chose que ce dont presque personne n’avait besoin. On élevait de jeunes pauvres à des connaissances de pur luxe. On leur faisait sentir assez durement que les éléments les plus conscients d’une société en sont aussi les plus négligeables. Voilà ce que le futur auteur de Jean Servien a pu observer autour de soi au sortir de l’adolescence et qu’il a pu légitimement craindre pour soi-même. Il a pu redouter le sort d’un Vingtras ou d’un Petit Chose. Mais il était trop diversement doué, trop riche de connaissances générales, et d’ailleurs trop informé des choses de la vie par une sorte d’instinct qu’il en avait, pour ne pas céder comme distraitement à ce qu’il devait être un jour. Sa philosophie, qui était sa nature même, le préservait, d’ailleurs, des résolutions trop nettes comme des résignations prématurées. Il n’engage pas