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À L’ACADÉMIE FRANÇAISE

agitation inévitable qui s’empresse quelque temps autour des tombeaux, et distinguons tout l’or qui subsiste et étincelle dans une cendre.

Par les diverses perfections de ses ouvrages, par la variété et l’étonnante étendue de sa culture, par la suprême liberté de son esprit, votre confrère s’est avancé d’une condition modeste à la situation la plus éclatante, et d’une aube assez grise qui éclaira ses premiers temps, ses travaux, ses talents, son destin, le conduisirent enfin à un crépuscule magnifique.

Comme je songeais à cette existence si heureuse dans son progrès, à cette carrière parcourue si sûrement, d’une démarche tranquille et comme divertie par toutes choses sur la route, je me pris à comparer involontairement une vie si bien réussie à quelques-unes de ces vies fortunées qui se trouvaient possibles il y a fort longtemps, quand presque tous les hommes de pensée et même les hommes d’esprit étaient hommes d’Église, et que l’on voyait de prodigieuses élévations à partir des origines les plus simples par la seule vertu d’une prudente et savante intelligence. Des humanistes consommés, des métaphysiciens à peine voilés de théologie, de grands amateurs de Platon, de Lucrèce ou de Virgile, des personnages semi-littéraires, semi-voluptueux, dévotement artistes, philosophiquement sacerdotaux, s’établissaient enfin dans la pourpre, entourés des plus beaux débris de l’antiquité païenne, singulières et séduisantes figures d’une époque disparue où l’Église pouvait souffrir de tels prélats d’une excessive délicatesse, et même d’une liberté incroyable dans les pensées.

Notre temps n’offre plus de ces facilités de développer à loisir les dons les plus délicats de l’esprit, à l’abri des misères du siècle,