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À L’ACADÉMIE FRANÇAISE

plus purs auteurs d’autrefois. Ces grâces fort délaissées n’en étaient pas moins incorruptibles. L’on vit avec plaisir, et sans trop de surprise, quelqu’un les reconduire au jour ; quelqu’un qui vint bientôt se placer sans effort au premier rang des écrivains de son époque ; quelqu’un, Messieurs, qui, n’ignorant du tout ni les charmes ni les mérites, encore moins les faiblesses, les excès et les défauts des entreprises du moment, se distinguait par une sorte de prudence, par une modération rare et même téméraire en ce temps-là, par un tempérament fort habile des moyens consacrés de l’art. Il prenait insensiblement la figure et l’importance d’un classique, entre tant d’inventeurs et de fauteurs de beautés audacieuses dont il représentait la négation la plus élégante.

Le public sut un gré infini à mon illustre prédécesseur de lui devoir la sensation d’une oasis. Son œuvre ne surprit que doucement et agréablement par le contraste rafraîchissant d’une manière si mesurée avec les styles éclatants ou fort complexes qui s’élaboraient de toutes parts. Il sembla que l’aisance, la clarté, la simplicité revenaient sur la terre. Ce sont des déesses qui plaisent à la plupart. On aima tout de suite un langage qu’on pouvait goûter sans trop y penser, qui séduisait par une apparence si naturelle, et de qui la limpidité, sans doute, laissait transparaître parfois une arrière-pensée, mais non mystérieuse ; mais au contraire toujours bien lisible, sinon toujours toute rassurante. Il y avait dans ses livres un art consommé de l’effleurement des idées et des problèmes les plus graves. Rien n’y arrêtait le regard, si ce n’est la merveille même de n’y trouver nulle résistance.

Quoi de plus précieux que l’illusion délicieuse de la clarté qui nous donne le sentiment de nous enrichir sans effort, de