Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 5, 1935.djvu/24

Cette page n’a pas encore été corrigée
18
REMERCIEMENT

laboratoires permettent de réaliser les températures très élevées, les réactions rarissimes, les degrés d’enthousiasme sans quoi les sciences ni les arts n’auraient qu’un avenir trop prévu.

Tels étaient nos cénacles il y a quelque quarante ans. Le jeune homme d’alors, séduit aux enchantements de poètes purs et maudits, hésitant sur le seuil de cette littérature inquiétante dont tout le monde lui enseignait les périls et lui dénonçait les folies, pressentait dans l’air de son temps cette excitante émotion, cette disposition intime que l’on éprouve au concert cependant que l’orchestre s’essaie, et que chaque instrument cherche pour soi-même, et pousse librement sa note. C’est tout un désordre musical délicieusement déchirant, un chaos d’espérances, un état primitif qui ne peut être qu’éphémère ; mais ce trouble vivant a quelque chose de plus universel, et peut-être de plus philosophique, que toute symphonie possible, car il les contient dans son mélange, il les suggère toutes. Il est une présence simultanée de tous les avenirs. Il prophétise.

Enivré, ébranlé de toutes ces promesses, le poète naissant s’apprivoisait aux étrangetés de son temps, et se laissait, comme Parsifal immobile, transporter par une succession d’enchantements jusque dans le temple illimité du Symbolisme.

Cependant les divinités sages et constantes qui prennent garde que nos lettres ne soient jamais brusquement et totalement altérées, ni qu’elles s’assoupissent trop longtemps dans l’ennui de la perfection, avaient déjà formé, et déjà fait paraître avec honneur dans la carrière, celui-là même qu’il fallait pour ranimer, au milieu de la confusion des langages, quelques-unes des grâces des