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À L’ACADÉMIE FRANÇAISE

d’une beauté qui n’offre pas de résistance et les amants de celle qui exige d’être conquise, entre ceux qui tenaient la littérature pour un art d’agrément immédiat, et ceux qui poursuivaient sur toute chose une expression exquise et extrême de leur âme et du monde, obtenue à tout prix, il se creusa une sorte d’abîme, mais abîme traversé dans les deux sens de quolibets et de risées, qui sont des signaux que tous entendent. On blâmait, on raillait les adeptes. On s’élevait contre l’idée d’une poésie essentiellement réservée. On traitait les initiés d’initiés, et ils ne refusaient point cette épithète.

Les uns avaient oublié, les autres pouvaient répondre qu’à l’origine de toutes les fermentations humaines, à la naissance de toutes les écoles, et même des plus grandes religions, il y a toujours de très petites coteries, d’imperceptibles groupes longtemps fermés, longtemps impénétrables ; bafoués, fiers de l’être, et avares de leurs clartés séparées. Au sein de ces secrètes sociétés, germe et se concentre la vie des très jeunes idées et se passe le temps de leur première fragilité. L’amitié, la sympathie, la communauté des sentiments, l’échange immédiat des espoirs et des découvertes, la résonnance des sentiments analogues qui se renforcent par leur reconnaissance réciproque, et jusqu’à l’admiration mutuelle, sont des conditions précieuses, et peut-être essentielles, de renouvellement intellectuel. Ces petites églises où les esprits s’échauffent, ces enceintes où le ton monte, où les valeurs s’exagèrent, ce sont de véritables laboratoires pour les lettres. Il n’y a point de doute, Messieurs, que le public, dans son ensemble, n’ait droit aux produits réguliers et éprouvés de l’industrie littéraire, mais l’avancement de l’industrie exige de nombreuses tentatives, d’audacieuses hypothèses, des imprudences même ; et les seuls