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À L’ACADÉMIE FRANÇAISE

Comment eussions-nous pu n’être pas habités de l’esprit de notre temps, de cet esprit d’un temps si fertile en découvertes, si audacieux dans ses entreprises, où l’on a vu la science passer à l’action, l’attitude contemplative ou descriptive le céder à la volonté de puissance, à la création d’immenses moyens ? L’époque étonne à chaque instant les habitudes des hommes, change leurs mœurs en quelques années, transforme leur sensibilité. Elle exige, elle obtient de nous une perpétuelle adaptation à de nouvelles réalités dont vous savez avec quelle promptitude et quelle énergie elles s’imposent et agissent sur tous les rythmes de notre vie, sur ses relations extérieures avec le temps et l’espace, et sur nos goûts comme sur nos desseins. Ce qui se passe un certain jour dans un coin de laboratoire retentit presque aussitôt et agit sur toute l’économie humaine.

Il n’est pas de tradition qui puisse subsister autrement que par artifice dans cette mêlée de nouveautés. Un temps qui interroge tout, qui vit de tout essayer, de tout regarder comme perfectible et donc provisoire ; qui ne peut plus rien concevoir qu’à titre d’essai et de valeur de transition, ne saurait être un temps de repos pour les lettres ni pour les arts. La poursuite des perfectionnements exclut la recherche de la perfection. Perfectionner s’oppose à parfaire. D’ailleurs c’est bien peu de chose que de changer la physionomie d’une page d’écriture quand celle de la terre et des cités subit des altérations si extraordinaires et si profondes.

Le romantisme déjà avait fortement remué le monde intellectuel ; mais les insurgés romantiques s’appareillaient aux mouvements de violence politique du dix-neuvième siècle ; ils empruntaient dans leur allure et dans leur langage quelque chose de la