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REMERCIEMENT

l’on doit à votre faveur, on éprouve ce que l’on est et l’on se dit que tout arrive.

Vous m’avez facilement accordé de prendre parmi vous une de ces places si honorables que tant d’hommes du premier ordre ont dû longuement désirer, et qu’il n’est pas sans exemple qu’avec tous les mérites du monde quelques-uns des plus grands aient attendue toute leur vie. Il ne serait pas humain, Messieurs, que cette réflexion inévitable ne produisît en moi je ne sais quelle comparaison des destinées. Le passé saisit le présent, et je me sens environné d’une foule d’ombres que je ne puis écarter de mon discours. Les morts n’ont plus que les vivants pour ressource. Nos pensées sont pour eux les seuls chemins du jour. Eux qui nous ont tant appris, eux qui semblent s’être effacés pour nous et nous avoir abandonné toutes leurs chances, il est juste et digne de nous qu’ils soient pieusement accueillis dans nos mémoires et qu’ils boivent un peu de vie dans nos paroles. Il est juste et naturel que je sois à présent sollicité de mes souvenirs et que mon esprit se sente assisté d’une troupe mystérieuse de compagnons et de maîtres disparus, dont les encouragements et les lumières que j’en ai reçus m’ont conduit insensiblement devant vous. Je dois à bien des morts d’être tel que vous ayez pu me choisir ; et à l’amitié je dois presque tout.

Parmi tant de chers et tant d’admirables absents dont la présence m’est si certaine, vous ne serez point étonnés que je distingue ici la figure charmante et grave de votre confrère très aimé, M. René Boylesve, l’un de ceux de l’Académie qui m’ont persuadé qu’il fallait songer à vous joindre, et qui se sont intéressés, avec une efficace évidente, à disposer pour moi vos esprits et à me préparer ce jour même.