Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/88

Cette page a été validée par deux contributeurs.

comme dans l’état ordinaire des choses : au lieu de mesurer la permanence, elle mesure la variation. Toute crise implique l’intervention de « causes » nouvelles qui troublent un équilibre mobile ou immobile qui existait.

Comment ajuster à la notion d’intelligence l’idée de crise que l’on vient de rappeler à soi en quelques mots ?

Nous vivons sur des notions très vagues et très grossières, qui d’ailleurs vivent de nous. Ce que nous savons, nous le savons par l’opération de ce que nous ne savons pas.

Nécessaires, et même suffisantes au mouvement rapide des échanges de pensées, toutefois, il n’est pas une seule de ces notions imparfaites et indispensables qui supporte d’être considérée en soi. Dès que le regard s’y attarde, aussitôt il y voit une confusion d’exemples et d’emplois très différents qu’il n’arrive jamais à réduire. Ce qui était clair au passage, et si vivement compris, se fait obscur quand on le fixe ; ce qui était simple se décompose ; ce qui était avec nous est contre nous. Un petit tour d’une vis mystérieuse modifie le microscope de la conscience, augmente le grossissement de notre attention par sa durée, suffit à nous faire apparaître notre embarras intérieur.

Insistez, par exemple, le moins du monde, sur des noms comme temps, univers, race, forme, nature, poésie, etc., et vous les verrez se diviser à l’infini, devenir infranchissables. Tout à l’heure, ils nous servaient à nous entendre ; ils se changent à présent en occasions de nous confondre. Ils étaient unis insensiblement à nos desseins et à notre acte comme des membres si dociles qu’on