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PROPOS SUR L’INTELLIGENCE[1]

Il arrive que l’on demande à quelqu’un s’il y a une Crise de l’Intelligence, si le monde s’abêtit, s’il y a un dégoût de la culture, — si les professions libérales pâtissent, songent à la mort, sentent leurs forces décroître, leurs rangs s’éclaircir, leur prestige devenir de plus en plus mince, leur existence de plus en plus ingrate, précaire, mesurée…

Mais ces questions surprenant ce quelqu’un, qui s’en trouvait fort éloigné, il faut bien qu’il se reprenne, qu’il se retourne en soi-même vers elles, qu’il se réveille de ses autres pensées, et qu’il se frotte les yeux de l’esprit, qui sont les mots.

— Crise ? se dit-il tout d’abord, — qu’est-ce donc qu’une crise ? Décidons de ce terme ! — Une crise est le passage d’un certain régime de fonctionnement à quelque autre ; passage que des signes ou des symptômes rendent sensible. Pendant une crise, le temps semble changer de nature, la durée n’est plus perçue

  1. Ces Propos ont été publiés dans la Revue de France du 15 juin 1925 en réponse à une Enquête sur la Crise des Professions Libérales.