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est la futilité ; je puis dire, sans risquer d’être trop sévère : nous sommes partagés entre la futilité et l’inquiétude. Nous avons les plus beaux jouets que l’homme ait jamais possédés : nous avons l’auto, nous avons le yo-yo, nous avons la T. S. F. et le cinéma ; nous avons tout ce que le génie a pu créer pour transmettre, avec la vitesse de la lumière, des choses qui ne sont pas toujours de la plus haute qualité. Que de divertissements ! Jamais tant de joujoux ! Mais que de préoccupations ! Jamais tant d’alarmes !

Que de devoirs enfin ! Devoirs dissimulés dans le confort lui-même ! Devoirs que la commodité, le souci du lendemain, multiplient de jour en jour, car l’organisation toujours plus parfaite de la vie nous capte aussi dans un réseau, de plus en plus serré, de règles et de contraintes, dont beaucoup nous sont insensibles ! Nous n’avons pas conscience de tout ce à quoi nous obéissons. Le téléphone sonne, nous y courons ; l’heure sonne, le rendez-vous nous presse… Songez à ce que sont, pour la formation de l’esprit, les horaires de travail, les horaires de transport, les commandements croissants de l’hygiène, jusqu’aux commandements de l’orthographe qui n’existaient pas jadis, jusqu’aux passages cloutés… Tout nous commande, tout nous presse, tout nous prescrit ce que nous avons à faire, et nous prescrit de le faire automatiquement. L’examen des réflexes devient le principal des examens d’aujourd’hui.

Il n’est pas jusqu’à la mode, mesdames, qui n’ait introduit une discipline de la fantaisie, une police de l’imitation qui soumet à de secrètes combinaisons économiques l’esthétique d’un jour…

Enfin, de toutes façons nous sommes circonscrits, dominés par une réglementation occulte ou sensible, qui s’étend à tout,