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lieu de cette désagrégation, de cette maladie, de cette tuberculose du papier, fragile support de tant de choses, supposez à présent que s’affaiblisse, que s’effondre le support de ce support : la croyance, la confiance, le crédit que nous accordons à ce papier et qui lui donne toute sa valeur. Le fait s’est déjà produit, mais jamais avec le caractère universel que nous devons malheureusement lui reconnaître de nos jours. Nous ne sommes plus dans l’hypothèse. Nous avons vu des traités solennels foulés aux pieds, d’autres perdre de jour en jour toute leur force ; nous voyons des États, tous les États manquer à leurs engagements, renier leur signature, opposer ou offrir à leurs créanciers l’horreur du vide.

Nous avons vu le législateur être contraint de délier des particuliers eux-mêmes des obligations que leur imposaient des contrats privés.

J’ose dire — chose extraordinaire ! — que l’or lui-même, l’or n’est plus en pleine possession de son immémoriale et mythique souveraineté ; lui, qui semblait contenir dans son atome très précieux et très pesant la confiance à l’état pur !…

Il s’agit donc d’une crise générale des valeurs. Rien n’y échappe, ni dans l’ordre économique, ni dans l’ordre moral, ni dans l’ordre politique. La liberté elle-même cesse d’être de mode. Les partis les plus avancés qui la réclamaient furieusement, il y a cinquante ans, la renient et l’immolent aujourd’hui !… Cette crise s’étend à tout : les sciences, le Code civil, la mécanique de Newton, les traditions diplomatiques, tout en est affecté. Je ne sais même pas si l’amour lui-même n’est pas en voie d’être évalué tout autrement qu’il ne l’était depuis une demi-douzaine de siècles…

En somme, crise de confiance, crise des conceptions fonda-