Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/65

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de leurs passe-temps rigoureux serviraient à quelque chose : à élucider le système du monde et à découvrir les lois de la nature.

De même, c’est par une singulière exploitation des ressources de cet esprit transformateur que la crainte elle-même a pu enfanter d’étonnantes productions. La crainte a élevé des temples, la crainte s’est enfin changée en ces merveilleuses supplications de pierre, en édifices magnifiquement significatifs, qui sont peut-être la plus haute expression humaine de beauté et de volonté. Ainsi, des affections de l’âme, des loisirs et des rêves, l’esprit fait des valeurs supérieures ; il est une véritable pierre philosophale, un agent de transmutation de toutes choses matérielles ou mentales.

*

Ce caractère que j’ai pris pour le définir, ces exemples que je viens de donner, me permettent donc de dire que l’esprit de l’homme l’a engagé dans une aventure, aventure d’une espèce qui semble s’évertuer à s’éloigner de plus en plus de ses conditions de vie initiales, comme si cette espèce était douée d’un instinct paradoxal tout opposé à l’allure de tous les autres instincts qui tendent au contraire à ramener sans cesse l’être vivant au même point et au même état.

C’est lui, cet instinct étrange, qui tend à refaire en quelque sorte le milieu de notre existence, à nous donner des occupations parfois excessivement éloignées de celles que nous impose le souci pur et simple de la vie animale ; il crée des besoins nouveaux, il multiplie les besoins artificiels, il introduit à côté des instincts naturels dont je parlais, à côté des quelques aiguillons de nécessité vitale (instinct signifie aiguillon), quantité d’autres impulsions. Il