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connues de la nature ; car elle consiste au contraire à opposer les unes aux autres ces énergies qui nous sont données ou bien à les conjuguer.

Cette opposition ou cette coercition est telle qu’il en résulte ou bien un gain de temps, ou une économie de nos forces propres, ou un accroissement de puissance, ou de précision, ou de liberté, ou de durée pour notre vie. Vous voyez qu’il y a une manière de définir l’esprit qui ne met en jeu aucune métaphysique, mais qui donne simplement à ce mot le sens irréprochable d’une constatation, qui en fait, en quelque sorte, le symbole d’un ensemble d’observations tout objectives.

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Certaines des transformations qu’accomplit cette puissance définissent un domaine plus élevé. L’esprit ne s’applique pas seulement à satisfaire des instincts et des besoins indispensables, mais encore il s’exerce à spéculer sur notre sensibilité. Est-il prodige de transformation plus remarquable que celui qui s’accomplit chez le poète ou chez le musicien quand ils transposent leurs affections et jusqu’à leurs tristesses et leur détresse, en ouvrages, en poèmes, en compositions musicales, en moyens de préserver et de répandre leur vie sensitive totale par le détour des artifices techniques ? Et, comme il sait changer ses douleurs en œuvres, l’esprit a su changer les loisirs de l’homme en des jeux. Il change l’étonnement naïf en curiosité, en passion de connaissance. L’amusement des combinaisons le conduit à édifier des sciences profondément abstraites. Les premiers géomètres étaient sans doute des hommes que leurs calculs et leurs figures divertissaient à l’écart et qui ne pensaient point qu’un jour les résultats