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POLITIQUE DE L’ESPRIT[1]


Je me propose d’évoquer devant vous le désordre que nous vivons. J’essayerai de vous montrer la réaction de l’esprit qui constate ce désordre, le retour qu’il fait sur soi-même lorsque, ayant mesuré sa puissance et son impuissance, il s’interroge et tente de se représenter le chaos auquel sa nature veut qu’il s’oppose.

Mais l’image d’un chaos est un chaos. Le désordre est donc mon premier point, c’est à lui que je vous demande de penser. Il y faut un certain effort ; nous finissons par être intimement habitués à lui, nous en vivons, nous le respirons, nous le fomentons, et il arrive qu’il est pour nous un véritable besoin. Nous le trouvons autour de nous comme en nous-mêmes, dans le journal, dans nos journées, dans notre allure, dans nos plaisirs, jusque dans notre savoir. Il nous anime, et ce que nous avons créé nous-mêmes nous entraîne enfin où nous ne savons pas et où nous ne voulons pas aller.

  1. Conférence faite à l’Université des Annales le 16 novembre 1932.