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mun au raisonnement précis ; songez aux analyses qu’ils ont faites d’opérations motrices et visuelles très composées ; et comme ils ont bien réussi dans la correspondance nette de ces opérations avec les propriétés linguistiques et grammaticales. Ils se sont fiés à la parole et à ses combinaisons pour les conduire sûrement dans l’espace. Sans doute, cet espace est devenu une pluralité d’espaces ; sans doute s’est-il singulièrement enrichi, et sans doute cette géométrie, qui semblait si rigoureuse jadis, a laissé voir bien des défauts dans son cristal. Nous l’avons examinée de si près que là où les Grecs voyaient un axiome, nous en comptons une douzaine.

À chacun de ces postulats qu’ils avaient introduits, nous savons qu’on en peut substituer quelques autres, et obtenir une géométrie cohérente et parfois physiquement utilisable.

Mais songez à la nouveauté que fut cette forme presque solennelle et qui est dans son dessin général si belle et si pure. Songez à cette magnifique division des moments de l’Esprit, à cet ordre merveilleux où chaque acte de la raison est nettement placé, nettement séparé des autres ; cela fait penser à la structure des temples, machine statique dont les éléments sont tous visibles et dont tous déclarent leur fonction.

L’œil considère la charge, le soutien de la charge, les parties de la charge, le tas et ses moyens d’équilibre, l’œil divise et régit sans effort ces masses bien dressées dont la taille même et la vigueur sont appropriées à leur rôle et à leur volume. Ces colonnes, ces chapiteaux, ces architraves, ces entablements et leurs subdivisions, et les ornements qui s’en déduisent sans jamais déborder de leurs places et de leur appropriation, me font songer à ces membres de la science pure, comme les Grecs l’avaient conçue :