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reuse, son économie scrupuleuse de « matière », sa généralité automatique, ses méthodes subtiles, et cette prudence infinie qui lui permet les plus folles hardiesses… La science moderne est née de cette éducation de grand style.

Mais une fois née, une fois éprouvée et récompensée par ses applications matérielles, notre science devenue moyen de puissance, moyen de domination concrète, excitant de la richesse, appareil d’exploitation du capital planétaire, — cesse d’être une « fin en soi » et une activité artistique. Le savoir, qui était une valeur de consommation devient une valeur d’échange. L’utilité du savoir fait du savoir une denrée, qui est désirable non plus par quelques amateurs très distingués, mais par Tout le Monde.

Cette denrée, donc, se préparera sous des formes de plus en plus maniables ou comestibles ; elle se distribuera à une clientèle de plus en plus nombreuse ; elle deviendra Chose du Commerce, chose enfin qui s’imite et se produit un peu partout.

Résultat : l’inégalité qui existait entre les régions du monde au point de vue des arts mécaniques, des sciences appliquées, des moyens scientifiques de la guerre ou de la paix, — inégalité sur laquelle se fondait la prédominance européenne, tend à disparaître graduellement.

Donc, la classification des régions habitables du monde tend à devenir telle que la grandeur matérielle brute, les éléments de statistique, les nombres, — population, superficie, matières premières, — déterminent enfin exclusivement ce classement des compartiments du globe.

Et donc, la balance qui penchait de notre côté, quoique nous paraissions plus légers, commence à nous faire doucement remonter, — comme si nous avions sottement fait passer dans