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à une spéculation sur l’homme, à des raisonnements et à une sorte d’action, qui ont pour matière des hommes et des systèmes d’hommes. Les moyens de cette action sont fictifs, tandis que ses effets sont assez réels, — et ne le sont que trop, en quelques circonstances. Ce sont de puissantes fictions qui mènent le monde ; mais si puissantes qu’elles soient, l’examen attentif n’y voit qu’une mythologie de formation incohérente où se mêlent des éléments populaires, métaphysiques, administratifs, légendaires, théoriques et pragmatiques, — une confusion de motifs sentimentaux, d’appétits, d’idéals, de faux souvenirs. Tout ceci était admissible, supportable (et d’ailleurs indispensable) à l’époque du vague et de la lenteur, au temps béni où l’on pouvait croire aux enseignements de l’histoire (c’est-à-dire à la causalité naïve) et y puiser de quoi penser aux faits du jour, de quoi former des projets pour l’avenir. Tout ceci aujourd’hui devient, pour plus d’un observateur, presque impossible à considérer sans une sorte de nausée…

Je le confesse : le spectacle de l’univers politique me soulève le cœur. Sans doute, je ne suis pas fait pour regarder de ce côté-là. Je m’en abstiendrais bien volontiers si l’état des choses, le mécanisme universel ne contraignait chacun à la triste condition de résonnateur. Il faut subir tous les sévices que le désordre intensif et organisé inflige aux esprits. Les journaux et les ondes introduisent la rue et les événements, leur vacarme et leur incohérence, jusque dans notre chambre. Les murs hurlent ; et la nuit, des écritures de feu sur ce qui reste des ténèbres enseigneraient à Balthazar que mané est une taverne, thécel, un cinéma et pharès, une huit-chevaux.

C’est de même qu’il faut subir la « politique ». Il est impos-