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Mais enfin le problème est résolu, et je puis invoquer votre propre existence à propos des questions qui nous préoccupent et dont votre lettre m’est venue entretenir. Il vous a suffi, peut-être, de consulter votre intime constitution et de vous ressentir comme résolution d’une dissonance donnée, pour concevoir qu’il n’est pas du tout impossible de trouver l’unité d’une diversité et le principe sur lequel les sensibilités, les cultures, les idéaux très différents dont la variété définit l’Europe, dont l’antagonisme la déchire, pourraient se mettre d’accord. Ce principe est croyance et confiance en l’esprit. J’entends ici par « Esprit » une certaine puissance de transformation qui intervient (avec plus ou moins de bonheur) pour résoudre, ou tenter de résoudre, tous les problèmes qui se proposent à l’homme, et dont son automatisme organique ne sait, ou ne peut, le délivrer. Dès que les réflexes, la mémoire simple, l’habitude, la routine ne suffisent pas à nous tirer de quelque difficulté, l’esprit entre en jeu, revient sur les données, dissocie, associe, fait varier, multiplie les essais imaginaires, institue des liaisons, simule des libertés, opère des substitutions, — bref, travaille selon ses moyens à nous fournir de quoi déterminer notre action, apaiser notre inquiétude, revenir à l’état d’âme le plus égal. (Ce n’est pas qu’il y réussisse toujours, ni qu’il n’accroisse quelquefois nos maux. Le cœur lui-même, quand il accélère excessivement ses battements pour la défense de l’organisme, ne le met-il pas en péril ?) Il est donc naturel, en présence du désordre généralisé, de l’insuffisance des expédients connus, de la nouveauté de situations auxquelles rien ne ressemble dans l’histoire, de recourir à cette puissance de l’esprit, plus énergiquement, plus rigoureusement sollicitée, et de postuler ceci : que si nous avions plus d’esprit, et si nous donnions à l’esprit plus de place