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les sciences exactes ont fait sur elles-mêmes, quand elles ont revisé leurs fondements, recherché avec le plus grand soin leurs axiomes, numéroté leurs postulats.

C’est peut-être que l’Histoire est surtout Muse, et qu’on préfère qu’elle le soit. Dès lors, je n’ai plus rien à dire… J’honore les Muses.

C’est aussi que le Passé est chose toute mentale. Il n’est qu’images et croyance. Remarquez que nous usons d’une sorte de procédé contradictoire pour nous former les diverses figures des différentes époques : d’une part, nous avons besoin de la liberté de notre faculté de feindre, de vivre d’autres vies que la nôtre ; d’autre part, il faut bien que nous gênions cette liberté pour tenir compte des documents, et nous nous contraignons à ordonner, à organiser ce qui fut au moyen de nos forces et de nos formes de pensée et d’attention, qui sont choses essentiellement actuelles.

Observez ceci sur vous-mêmes : Toutes les fois que l’histoire vous saisit, que vous pensez historiquement, que vous vous laissez séduire à revivre l’aventure humaine de quelque époque révolue, l’intérêt que vous y prenez est tout soutenu du sentiment que les choses eussent pu être tout autres, tourner tout autrement. À chaque instant, vous supposez un autre instant-suivant que celui qui suivit : à chaque présent imaginaire où vous vous placez, vous concevez un autre avenir que celui qui s’est réalisé.

« Si Robespierre l’eût emporté ? — Si Grouchy fût arrivé à temps sur le terrain de Waterloo ? — Si Napoléon avait eu la marine de Louis XVI et quelque Suffren… » Si… Toujours Si.

Cette petite conjonction Si est pleine de sens. En elle réside peut-être le secret de la plus intime liaison de notre vie avec l’histoire. Elle communique à l’étude du passé l’anxiété et les