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LE FAIT HISTORIQUE[1]


Je vous dirai d’abord le souvenir d’un souvenir : Le discours si remarquable et si plein que nous venons d’entendre m’a rappelé une petite scène que m’a contée jadis le grand peintre Degas.

Il me dit qu’étant tout enfant, sa mère, un jour, le conduisit rue de Tournon, faire visite à Mme Le Bas, veuve du fameux conventionnel qui, le neuf thermidor, se tua d’un coup de pistolet.

La visite achevée, ils se retiraient à petits pas, accompagnés jusqu’à la porte par la vieille dame, quand Mme Degas tout à coup s’arrêta, vivement émue. Lâchant la main de son fils, elle désigna les portraits de Robespierre, de Couthon, de Saint-Just, qu’elle venait de reconnaître sur les murs de l’antichambre, et elle ne put se tenir de s’écrier avec horreur : « Quoi !… Vous gardez encore ici les visages de ces monstres ! » — « Tais-toi, Célestine ! répliqua ardemment Mme Le Bas, Tais-toi… C’étaient des saints ! »

Voilà, chers jeunes gens, qui se rapporte sans effort à ce que nous disait M. Lanson. Votre maître, en peu de mots, vous a rendu présent et saisissant le contraste des sentiments de quelques

  1. Discours prononcé à l’occasion de la distribution solennelle des prix du Lycée Janson-de-Sailly, le 13 juillet 1932.