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La profession libérale s’opposait à la profession manuelle. Mais un chirurgien se sert de ses mains, voire gantées. Un pianiste vit de ses doigts ; un peintre, un sculpteur essayent d’en vivre. Tous ces professionnels jadis étaient regardés comme ouvriers. Véronèse, cité en témoignage par l’Inquisition de Venise, répond sur sa profession : Sono lavoratore !

Aujourd’hui le changement est profond, le chirurgien ne se confond plus avec le barbier, l’artiste avec l’artisan, et la hiérarchie sociale fondée sur l’estime, sur le degré supposé de noblesse des occupations, s’est déplacée. La chirurgie se trouve classée bien plus dignement que bien des professions où les mains ne servent qu’à écrire.

On voit combien de questions sans réponse soulève la simple tentative de se faire une idée nette de la place dans le monde moderne des hommes de l’esprit, ou de ceux qui, par tradition, sont supposés l’être…

Chaque attaque de la difficulté trouve aussitôt sa riposte. Il faut bien cependant, avant de mesurer un certain mal et d’en décrire les symptômes, essayer de reconnaître ses victimes. On m’a vu tenter vainement de circonscrire l’intellectuel et de découvrir des signes certains de la profession libérale.

Ce genre de recherches est parfois aussi divertissant qu’un jeu de société. Elles recèlent tout l’infini de l’inattendu. La surprise a pour ressort profond le grand fait dont je me suis occupé il y a quelques pages : une société nouvelle saisit une vieille société en flagrant délit ; une organisation plus puissante et plus stricte attaque une organisation moins puissante et plus