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chantante ou la toux d’un assistant) alors nous sentons que quelque chose en nous est rompue, qu’il se produit une infraction à je ne sais quelle substance ou à quelle loi d’association ; un univers se brise, un charme est aboli.

Ainsi, devant le musicien, avant qu’il ait commencé son travail, tout est prêt pour que l’operation de son esprit créateur trouve, dès le début, la matière et les moyens appropriés, sans erreur possible. Il n’aura à faire subir aucune modification à cette matière et à ses moyens; il n’aura qu’à assembler des éléments bien definis et tout préparés.

Mais en quel état différent le poète trouve les choses ! Devant lui s’étend ce langage ordinaire, cet ensemble de moyens non appropriés à son dessein, non faits pour lui. Il n’y a pas eu pour lui de physicien qui ait déterminé les rapports de ces moyens ; il n’y a pas eu de constructeur de gammes ; point de diapason, point de métronome ; aucune certitude de ce côté; il n’a pour lui que l’instrument très grossier du dictionnaire et de la grammaire. De plus, il doit s’adresser, non point à un sens spécial et unique comme Voûte, que le musicien oblige à subir ce qu’il lui inflige et qui est d’ailleurs l’organe par excellence de l’attente et de l’attention, mais à une attente gé-