Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 3, 1933.djvu/207

Cette page n’a pas encore été corrigée

il a cherché et il a trouvé les moyens de reconstituer cet état à volonté, de le retrouver quand il le désire, et enfin, de développer artificiellement ces produits naturels de son être sensible. Il a, en quelque sorte, su extraire de la nature et retirer du cours aveugle du temps, ces formations ou ces constructions si incertaines ; il s’est servi, dans ce dessein, de plusieurs moyens que j’ai déjà cités. Or, parmi ces moyens de produire un monde poétique, de le reproduire et de l’enrichir, le plus ancien, peut-être le plus vénérable et cependant le plus complexe, et le plus difficile à utiliser, c’est le langage.

Ici, je dois faire sentir ou comprendre à quel point, dans l’ère moderne, la tâche du poète est délicate, et combien de difficultés (dont, heureusement, il n’a pas toujours conscience) le poète rencontre dans sa tâche. Le langage est un élément commun et pratique ; il est donc un instrument nécessairement grossier, puisque chacun le manie, l’accommode selon ses besoins et tend à le déformer suivant sa personne. Le langage, si intime qu’il soit en nous, si proche que le fait de penser sous forme de parole soit de notre âme, n’en est pas moins d’origine statistique et de destination purement pratique. Or le problème du poète