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nous sommes lorsque nous nous sentons, par l’effet de certaines circonstances, excités, enchantés. Cet état est entièrement indépendant de toute œuvre déterminée et il résulte naturellement et spontanément d’un certain accord entre notre disposition interne, physique et psychique, et les circonstances (réelles ou idéales) qui nous impressionnent. Mais, d’autre part, quand nous disons art poétique ou quand nous parlons d'une poésie, il s’agit évidemment des moyens de provoquer un état analogue à l’état précédent, de produire artificiellement ce genre d’émotion. Ce n’est pas tout. Il faut, de plus, que les moyens qui nous serviront à provoquer cet état soient de ceux qui appartiennent aux propriétés et au mécanisme du langage articulé. L’émotion dont je parlais peut être provoquée par les choses ; elle peut aussi être provoquée par des moyens tout autres que ceux du langage comme l’architecture, la musique, etc., mais la poésie proprement dite a pour essence l’emploi des moyens du langage. Quant à l’émotion poétique indépendante, observons qu’elle se distingue des autres émotions humaines par un caractère singulier, par une propriété admirable ; c’est qu’elle tend à nous donner le sentiment d’une illusion ou l’illusion d’un monde, (d’un monde dans lequel les événements, les images,