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Que des songes du soir votre sceptre reprit,
Pure, et toute pareille au plus pur de l’esprit,
Attende, au sein des cieux, que tu vives et veuilles,
Près de moi, mon amour, choisir un lit de feuilles,
Sortir tremblant du flanc de la nymphe au cœur froid,
Et sans quitter mes yeux, sans cesser d’être moi,
Tendre ta forme fraîche, et cette claire écorce…
Oh ! te saisir enfin !… Prendre ce calme torse
Plus pur que d’une femme et non formé de fruits…
Mais, d’une pierre simple est le temple où je suis,
Où je vis… Car je vis sur tes lèvres avares !…
    Ô mon corps, mon cher corps, temple qui me sépares
De ma divinité, je voudrais apaiser
Votre bouche… Et bientôt, je briserais, baiser,
Ce peu qui nous défend de l’extrême existence,
Cette tremblante, frêle, et pieuse distance
Entre moi-même et l’onde, et mon âme, et les dieux !…
    Adieu… Sens-tu frémir mille flottants adieux ?
Bientôt va frissonner le désordre des ombres!
L’arbre aveugle vers l’arbre étend ses membres sombres,
Et cherche affreusement l’arbre qui disparaît…
Mon âme ainsi se perd dans sa propre forêt,
Où la puissance échappe à ses formes suprêmes…
L’âme, l’âme aux yeux noirs, touche aux ténèbres mêmes,
Elle se fait immense et ne rencontre rien…