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Mais leurs esprits perdus courent ce labyrinthe
Où s’égare celui qui maudit le soleil !
Leur folle solitude, à l’égal du sommeil,
Peuple et trompe l’absence ; et leur secrète oreille
Partout place une voix qui n’a point de pareille.
Rien ne peut dissiper leurs songes absolus ;
Le soleil ne peut rien contre ce qui n’est plus !
Mais s’ils traînent dans l’or leurs yeux secs et funèbres,
Ils se sentent des pleurs défendre leurs ténèbres
Plus chères à jamais que tous les feux du jour !
Et dans ce corps caché tout marqué de l’amour
Que porte amèrement l’âme qui fut heureuse,
Brûle un secret baiser qui la rend furieuse…

Mais moi, Narcisse aimé, je ne suis curieux
Que de ma seule essence ;
Tout autre n’a pour moi qu’un cœur mystérieux,
Tout autre n’est qu’absence.
Ô mon bien souverain, cher corps, je n’ai que toi !
Le plus beau des mortels ne peut chérir que soi…
    Douce et dorée, est-il une idole plus sainte,
De toute une forêt qui se consume, ceinte,
Et sise dans l’azur vivant par tant d’oiseaux ?
Est-il don plus divin de la faveur des eaux,