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D’une ardente alliance expirée en délices,
Des amants détachés tu mires les malices,
Tu vois poindre des jours de mensonges tissus,
Et naître mille maux trop tendrement conçus !
    Bientôt, mon onde sage, infidèle et la même,
Le Temps mène ces fous qui crurent que l’on aime
Redire à tes roseaux de plus profonds soupirs !
Vers toi, leurs tristes pas suivent leurs souvenirs…
    Sur tes bords, accablés d’ombres et de faiblesse,
Tout éblouis d’un ciel dont la beauté les blesse
Tant il garde l’éclat de leurs jours les plus beaux,
Ils vont des biens perdus trouver tous les tombeaux…
« Cette place dans l’ombre était tranquille et nôtre ! »
« L’autre aimait ce cyprès, se dit le cœur de l’autre,
« Et d’ici, nous goûtions le souffle de la mer ! »
Hélas ! la rose même est amère dans l’air…
Moins amers les parfums des suprêmes fumées
Qu’abandonnent au vent les feuilles consumées !…
    Ils respirent ce vent, marchent sans le savoir,
Foulent aux pieds le temps d’un jour de désespoir…
Ô marche lente, prompte, et pareille aux pensées
Qui parlent tour à tour aux têtes insensées !
La caresse et le meurtre hésitent dans leurs mains,
Leur cœur, qui croit se rompre au détour des chemins,
Lutte, et retient à soi son espérance étreinte.