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Rêvez, rêvez de moi !… Sans vous, belles fontaines,
Ma beauté, ma douleur, me seraient incertaines.
Je chercherais en vain ce que j’ai de plus cher,
Sa tendresse confuse étonnerait ma chair,
Et mes tristes regards, ignorants de mes charmes,
À d’autres que moi-même adresseraient leurs larmes…

    Vous attendiez, peut-être, un visage sans pleurs,
Vous calmes, vous toujours de feuilles et de fleurs,
Et de l’incorruptible altitude hantées,
Ô Nymphes !… Mais docile aux pentes enchantées
Qui me firent vers vous d’invincibles chemins,
Souffrez ce beau reflet des désordres humains !

    Heureux vos corps fondus, Eaux planes et profondes !
Je suis seul !… Si les Dieux les échos et les ondes
Et si tant de soupirs permettent qu’on le soit !
Seul !… mais encor celui qui s’approche de soi
Quand il s’approche aux bords que bénit ce feuillage…
    Des cimes, l’air déjà cesse le pur pillage ;
La voix des sources change, et me parle du soir ;
Un grand calme m’écoute, où j’écoute l’espoir.
J’entends l’herbe des nuits croître dans l’ombre sainte,
Et la lune perfide élève son miroir
Jusque dans les secrets de la fontaine éteinte…