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s’y produisent sont une amère nourriture pour toutes les âmes moins une. Et plus elles sont belles, plus amèrement ressenties.

Tenez encore. Il me semble que chaque mortel possède tout auprès du centre de sa machine, et en belle place parmi les instruments de la navigation de sa vie, un petit appareil d’une sensibilité incroyable qui lui marque l’état de l’amour de soi. On y lit que l’on s’admire, que l’on s’adore, que l’on se fait horreur, que l’on se raye de l’existence ; et quelque vivant index, qui tremble sur le cadran secret, hésite terriblement prestement entre le zéro d’être une bête et le maximum d’être un dieu.

Eh bien, mon tendre ami, si vous voulez comprendre quelque chose à bien des choses, il faut songer qu’un appareil si vital et si délicat est le jouet du premier venu.

Et, sans doute, il est des hommes étranges en qui cette aiguille cachée marque toujours le point opposé de celui que l’on gagerait qu’elle indiquât. Ils se haïssent au moment même de l’estime universelle, et au contraire dans le contraire. Mais nous savons qu’il n’est plus de lois toutes satisfaites. Il n’est plus que des à peu près…

Et le train filait toujours, rejetant violemment