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tretiennent dix mille êtres essentiellement singuliers ? Songez à la température que peut produire dans ce lieu un si grand nombre d’amours propres qui s’y comparent. Paris enferme et combine, et consomme ou consume la plupart des brillants infortunés que leurs destins ont appelés aux professions délirantes… Je nomme ainsi tous ces métiers dont le principal instrument est l’opinion que l’on a de soi-même, et dont la matière première est l’opinion que les autres ont de vous. Les personnes qui les exercent, vouées à une éternelle candidature, sont nécessairement toujours affligées d’un certain délire des grandeurs qu’un certain délire de la persécution traverse et tourmente sans répit. Chez ce peuple d’uniques règne la loi de faire ce que nul n’a jamais fait, et que nul jamais ne fera. C’est du moins la loi des meilleurs, c’est-à-dire de ceux qui ont le cœur de vouloir nettement quelque chose d’absurde… Ils ne vivent que pour obtenir et rendre durable l’illusion d’être seuls, — car la supériorité n’est qu’une solitude située sur les limites actuelles d’une espèce. Ils fondent chacun son existence sur l’inexistence des autres, mais auxquels il faut arracher leur consentement qu’ils n’existent pas… Remarquez bien que je ne fais que de déduire ce qui est enveloppé dans ce