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mure du train prêtait à ma distraction imagée l’accompagnement de la rumeur d’une ruche.

Il me semblait que nous avancions vers un nuage de propos. Mille gloires en évolution, mille titres d’ouvrages par seconde paraissaient, périssaient indistinctement dans cette nébuleuse grandissante. Je ne savais pas si je voyais ou si J’entendais cette agitation insensée. Il y avait des écritures qui criaient, des paroles qui étaient des hommes, et des hommes qui étaient des noms… Point de lieu sur la terre, pensai-je, où le langage ait plus de fréquence, plus de résonances, moins de réserve, qu’en ce Paris où la littérature, et la science, et les arts, et la politique d’un grand pays sont jalousement concentrés. Les Français ont amassé toutes leurs idées dans une enceinte. Nous y vivons dans notre feu.

Dire ; redire ; contredire ; prédire ; médire… Tous ces verbes ensemble me résumaient le bourdonnement du paradis et de la parole.

Quoi de plus fatigant que de concevoir le chaos d’une multitude d’esprits ? — Chaque pensée dans ce tumulte trouve sa pareille, son adverse, son antécédente et sa suivante. Tant de similitudes, tant d’imprévu la découragent.

Imaginez-vous le désordre incomparable qu’en-