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foi et de me livrer à mes dévotions. J’ai toute licence d’aimer Dieu et de le servir, et je me puis partager très heureusement entre mon Seigneur et mon cher époux. M. Teste quelquefois me demande de lui parler de mon oraison, de lui expliquer aussi exactement que je le puisse, comment je m’y mets, comment je m’y applique et m’y soutiens ; et il désire de savoir si je m’y abîme aussi véritablement que je le crois. Mais à peine j’ai commencé de chercher mes mots dans mon souvenir, il me devance, il s’interroge soi-même, et se mettant prodigieusement à ma place, il me dit sur ma propre prière de telles choses, il m’en donne de telles précisions qu’elles l’éclairent, la rejoignent en quelque sorte dans son altitude secrète, — et qu’il m’en communique la disposition et le désir !.. Il y a dans son langage je ne sais quelle puissance de faire voir et entendre ce que l’on a de plus caché… Et cependant, ce sont des propos humains que les siens, rien qu’humains ; ce ne sont que les formes très intimes de la foi reconstituées par artifice, et articulées à merveille par un esprit incomparable d’audace et de profondeur ! On dirait qu’il a froidement exploré l’âme fervente… Mais il manque affreusement à cette recomposition de mon cœur brûlant et de sa foi, son essence qui est espérance.