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belle partie de l’âme qui peut jouir sans comprendre, et qui est grande chez moi.

J’ai donc fait lecture de votre lettre à M. Teste. Il l’a écouté lire sans montrer ce qu’il en pensait, ni qu’il y pensât. Vous savez qu’il ne lit presque rien de ses yeux, dont il fait un usage étrange, et comme intérieur. Je me trompe, je veux dire : un usage particulier. Mais ce n’est pas cela du tout. Je ne sais comment m’exprimer ; mettons à la fois intérieur, particulier, et universel !  !  ! Ils sont fort beaux, ses yeux ; je les aime d’être un peu plus grands que tout ce qu’il y a de visible. On ne sait jamais s’il leur échappe quoi que ce soit, ou bien, si, au contraire, le monde entier ne leur est pas un simple détail de tout ce qu’ils voient, une mouche volante qui vous peut obséder, mais qui n’existe pas. Cher Monsieur, depuis que je suis mariée avec votre ami, jamais je n’ai pu m’assurer de ses regards. L’objet même qu’ils fixent est peut-être l’objet même que son esprit veut réduire à néant.

Notre vie est toujours celle que vous connaissez : la mienne, nulle et utile ; la sienne, toute en habitudes et en absence. Ce n’est pas qu’il ne se réveille, et ne reparaisse, quand il veut, terriblement vivant. Je l’aime bien ainsi. Il est grand et redoutable tout