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que j’aime, — du changement, du mouvement, du mélange, du flux, de la transformation. Nierez-vous qu’il y ait des choses anesthésiques ? Des arbres qui saoulent, des hommes qui donnent de la force, des filles qui paralysent, des ciels qui coupent la parole ?

M. Teste reprit assez haut

— « Eh ! Monsieur ! que m’importe le « talent » de vos arbres — et des autres !.. Je suis chez moi, je parle ma langue, je hais les choses extraordinaires. C’est le besoin des esprits faibles. Croyez-moi à la lettre : le génie est facile, la divinité est facile… Je veux dire simplement — que je sais comment cela se conçoit. C’est facile.

« Autrefois, — il y a bien vingt ans, — toute chose au-dessus de l’ordinaire accomplie par un autre homme, m’était une défaite personnelle. Dans le passé, je ne voyais qu’idées volées à moi ! Quelle bêtise !.. Dire que notre propre image ne nous est pas indifférente ! Dans les combats imaginaires, nous la traitons trop bientrop mal !.. »

Il toussa. Il se dit : « Que peut un homme ?.. Que peut un homme !.. » Il me dit : « Vous connaissez un homme sachant qu’il ne sait ce qu’il dit ! »

Nous étions à sa porte. Il me pria de venir fumer un cigare chez lui.