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résisté. Je regrette d’en parler comme on parle de ceux dont on fait les statues. Je sens bien qu’entre le « génie » et lui, il y a une quantité de faiblesse. Lui, si véritable ! si neuf ! si pur de toute duperie et de toutes merveilles, si dur ! Mon propre enthousiasme me le gâte…

Comment ne pas en ressentir pour celui qui ne disait jamais rien de vague ? pour celui qui déclarait avec calme : « Je n’apprécie en toute chose que la facilité ou la difficulté de les connaître, de les accomplir. Je mets un soin extrême à mesurer ces degrés, et à ne pas m’attacher… Et que n’importe ce que je sais fort bien ? »

Comment ne pas s’abandonner à un être dont l’esprit paraissait transformer pour soi seul tout ce qui est, et qui opérait tout ce qui lui était proposé ? Je devinais cet esprit maniant et mêlant, faisant varier, mettant en communication, et dans l’étendue du champ de sa connaissance, pouvant couper et dévier, éclairer, glacer ceci, chauffer cela, noyer, exhausser, nommer ce qui manque de nom, oublier ce qu’il voulait, endormir ou colorer ceci et cela…

Je simplifie grossièrement des propriétés impénétrables. Je n’ose pas dire tout ce que mon objet me dit. La logique m’arrête. Mais, en moi-même, toutes