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ambition entre le souci d’un effet à produire sur les autres, et la passion de me connaître et reconnaître tel que j’étais, sans omissions, sans simulations, ni complaisances.

Je rejetais non seulement les Lettres, mais encore la Philosophie presque tout entière, parmi les Choses Vagues et les Choses Impures auxquelles je me refusais de tout mon cœur. Les objets traditionnels de la spéculation m’excitaient si malaisément que je m’étonnais des philosophes ou de moi-même. Je n’avais pas compris que les problèmes les plus relevés ne s’imposent guère, et qu’ils empruntent beaucoup de leur prestige et de leurs attraits à certaines conventions qu’il faut connaître et recevoir pour entrer chez les philosophes. La jeunesse est un temps pendant lequel les conventions sont, et doivent être, mal comprises : ou aveuglément combattues, ou aveuglément obéies. On ne peut pas concevoir, dans les commencements de la vie réfléchie, que seules les décisions arbitraires permettent à l’homme de fonder quoi que ce soit : langage, sociétés, connaissances, œuvres de l’art. Quant à moi, je le concevais si mal que je m’étais fait une règle de tenir secrètement pour nulles ou méprisables toutes les opinions et coutumes d’esprit qui naissent de la vie en commun et de nos relations extérieures avec les autres hommes,