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Je veux dire qu’il n’est pas normalement excité de façon continue. Si la vue était aussi sensible ou le mouvement luminifère aussi relativement rare que celui de l’ouïe, nous ne pourrions pas vivre.

Suppose-toi dans un univers peint de couleurs pures.

Ces couleurs se succédant en mesure sur les corps, le ciel, etc… avec des entrées brusques de soleils incandescents, des nuits noires survenant comme des éclairs, etc…, chavirements de formes qui se comporteraient comme des fleuves. Et les changements dont je parle affectés de vitesse de l’ordre de grandeur des vitesses musicales. Tout le sol, tout le ciel pouvant subir dans un rangement quelconque la succession des valeurs du prisme.

Et l’espace visuel s’agrandissant, se rétrécissant comme d’une cellule jusqu’à l’horizon de 100 kilomètres et dans cette sphère un rayon brusquement variable, la figure des corps changeant, passant d’une forme à une autre par des modifications sensibles, comme la graine deviendrait arbre sous l’œil en 30 sec.

Et ce théâtre occupant TOUT l’espace comme la symphonie occupe tout l’ouie… On voit par là qu’il ne faut pas comparer la Musique à la Peinture,