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d’une extrême hauteur, des groupes d’énormes tilleuls surélevés, issus par quatre de monticules carrés de terre dont les feuillages retombant jusqu’au sol cachaient entièrement les masses…

Je descendais le matin dans ce parc, avant l’aurore. J’allais pieds nus dans l’herbe glacée. Le tout premier moment du jour exerce sur mes nerfs une puissance singulière. Il s’y mêle de la tristesse, de l’enchantement, de l’émotion et une sorte de lucidité presque douloureuse. À peine se colorait le ciel, je rentrais assez ivre de fraîcheur et de volonté.

Tu ne peux imaginer quelles matinées j’ai passées pendant ces deux ou trois mois d’été, dans cette riche région où le grand arbre pousse comme l’herbe, où l’herbe est d’une force et d’une facilité incroyables, où la puissance végétale est inépuisable. Mon travail était ce qu’il était. Mais je me sentais une vitalité de l’esprit qui me paraît aujourd’hui le plus enviable des biens. Mon corps toutefois n’était pas sans malaises. Il me semblait succomber vers le milieu du jour.

Or, ce travail, ces recherches, ces efforts de poète contre les étroites conditions que je m’étais données, — et dont si peu de gens saisissent l’importance indirecte, — je puis dire qu’ils n’étaient jamais des fatigues