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une sorte d’oubli et de vertige, ou d’emportement très admirable.

L’idée d’inspiration, si l’on se tient à cette image naïve d’un souffle étranger, ou d’une âme toute-puissante, substituée tout à coup pour un temps, à la nôtre, peut suffire à la mythologie ordinaire des choses de l’esprit. Presque tous les poètes s’en contentent. Bien plutôt, ils n’en veulent point souffrir d’autre. Mais je ne puis arriver à comprendre que l’on ne cherche pas à descendre dans soi-même le plus profondément qu’il soit possible.

Il paraît que l’on risque son talent à tenter d’en explorer les Enfers. Mais qu’importe ce talent ? Trouvera-t-on pas autre chose ?

Que d’observations j’ai faites moi-même pendant que je travaillais à mes vers ! — J’ai cherché d’écrire la Pythie en quelques autres pièces dans une campagne plantée des plus beaux arbres que j’ai vus ; aux environs d’Avranches ; arrosée d’un fleuve minuscule où la marée qui le remontait, faisait courir fort loin de la mer une vague unique, parfois très haute. Le petit fleuve faisait mille détours dans une terre grasse et très blanche ; et le flot arrivait à son heure, s’entendait venir bien longtemps avant qu’on ne le vît. Il y avait sous ma fenêtre des bouquets de hêtres pourprés