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point. Je mets ceci dans votre oreille toute proche. N’allez point le répandre. Gardez excessivement mon secret, Oui, la clarté pour moi est si peu commune que je n’en vois sur toute l’étendue du monde, — et singulièrement du monde pensant et écrivant, — que dans la proportion du diamant à la masse de la planète. Les ténèbres que l’on me prête sont vaines et transparentes auprès de celles que je découvre un peu partout. Heureux les autres, qui conviennent avec eux-mêmes qu’ils s’entendent parfaitement ! Ils écrivent, ils parlent sans trembler. Vous sentez comme j’envie tous ces humains lucides dont les ouvrages font que l’on songe à la douce facilité du soleil dans un univers de cristal… Ma mauvaise conscience me suggère parfois de les incriminer pour me défendre. Elle me murmure qu’il n’y a que ceux qui ne cherchent rien qui ne rencontrent jamais l’obscurité, et qu’il ne faut proposer aux gens que ce qu’ils savent. Mais je m’examine dans le fond, et il faut bien que je consente à ce que disent tant de personnes distinguées. Je suis fait véritablement, mon ami, d’un malheureux esprit qui n’est jamais bien sûr d’avoir compris ce qu’il a compris sans s’en apercevoir. Je discerne fort mal ce qui est clair sans réflexion de ce qui est positivement obscur… Cette faiblesse, sans