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fumées… Je regardais en moi avec des yeux étrangers. Je butais dans ce que je venais de créer. Ahuri, au milieu des débris de l’intelligible, je retrouvai inerte et comme renversé, ce grand mot qui avait causé la catastrophe. Il était sans doute un peu trop long pour les courbes de ma pensée.

Intellectuelle… Tout le monde à ma place aurait compris. Mais moi !..

— Vous le savez, cher Vous, que je suis un esprit de la plus ténébreuse espèce. Vous le savez par expérience, et le savez encore mieux pour l’avoir cent fois ouï dire. Il ne manque point de personnes, et doctes, et bénignes, et bien disposées, qui attendent pour me lire que l’on m’ait traduit en français. Elles s’en plaignent vers le public, lui exposent des citations de mes vers où je confesse qu’elles doivent s’embarrasser. Même, elles tirent une juste gloire de ne point entendre quelque chose ; ce que d’autres cacheraient. — « Modeste tamen et circumspecto judicio pronuntiandum est, dit Quintilien, dans un endroit que Racine a pris soin de traduire, — ne quod plerisque accidit, damnent quae non intelligunt. » Mais moi, je suis désespéré d’affliger ces amateurs de lumière. Rien ne m’attire que la clarté. Hélas, ami de moi ! je vous assure que je n’en trouve presque