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appartiennent de plus en plus au domaine des études de Sorbonne, et passent de la vigueur de la vie à l’état inerte de documents.

Voilà bien des signes assez graves. En échange de ces créations, en compensation de ces pertes, que trouve-t-on, puisque les gens ne savent plus tirer leurs enchantements d’eux-mêmes, jouir de leur propre langage, prendre plaisir à le parler ? Aujourd’hui, ce plaisir le cède à la hâte ; notre parole ne consiste guère que dans une rapide signification aussi nue et prompte que possible. Pour un peu, nous parlerions par initiales. D’ailleurs, le travail de rédaction d’un télégramme est bien instructif sur ce point, et le téléphone n’est pas non plus un instrument de beau langage.

Donc, de ce côté-là, une perte évidente. Nous ne pouvons enfin que nous demander comment et pourquoi tant d’impuissance est venue abolir tant d’ornements du loisir de la vie ?

Les métiers d’art ne sont plus guère que des luxes, soutenus çà et là, par les États ou par de généreux mécènes. Ils n’apportent plus au langage ces mots et ces tours savoureux qu’ont remplacés les termes baroques ou laidement abstraits, que la politique et la technique nous infligent tous les jours. Je dirai même que ce n’est pas la poésie seule qui est ici en jeu ; l’intégrité même de l’esprit est en cause ; car tous ces mots de notre temps, toutes ces abstractions de qualité inférieure, (puisqu’elles ne sont pas définies), s’accommodent d’une logique en ruine…

Nous entendons à chaque instant des raisonnements qui n’en