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avait pas d’Exposition ; mais il y avait des artisans artistes, ce qui vaut bien une exposition.

Le peuple produisait, ce qu’il ne produit plus depuis un bon siècle et demi, des poèmes, des chansons, toute une invention qui a entièrement disparu. La poésie et la mélodie populaires sont choses qui ne se font plus. Il y a stérilité totale de ce côté.

Et enfin, dégradation de la création verbale. Certes, le peuple invente encore des mots ; mais ces mots sont généralement laids et mal venus ; ils empruntent des termes aux nombreuses techniques de l’époque. Il en est quelquefois d’assez pittoresques ; mais ils n’ont pas cette saveur particulière dont le langage des métiers de jadis était imprégné.

A ce propos, je puis vous citer des faits précis, que j’ai constatés, et je ne suis pas le seul, d’une façon presque officielle : il faut bien noter, auprès des naissances de termes plus ou moins heureux, la mort de mots délicieux qui existaient dans notre langue, et qui sont d’origine toute populaire.

L’Académie, comme vous le savez, est une sorte de bureau d’état civil, où nous enregistrons sans hâte les naissances, et avec mélancolie les décès des vocables. Il arrive à chaque instant, dans notre travail du Dictionnaire, que nous examinions des mots qu’il faut bien rayer, quelles que soient leur forme charmante et leur physionomie poétiquement populaire, car personne d’entre nous ne les a jamais entendus ! Or, l’édition sur laquelle porte notre examen est à peine vieille de quarante ou cinquante ans. Voilà donc des mots qui, il y a quarante ou cinquante ans, étaient