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poésie universelle, et que cette influence ne s’est pas bornée à créer des lecteurs et des admirateurs pour nos auteurs, elle a engendré des poètes. La France s’est enrichie d’auteurs de haut vol, dont quelques-uns n’ont pas été sans exercer à leur tour une réelle influence sur notre art. Swinburne, grand poète anglais qui a écrit plusieurs poèmes en français, fut l’un des premiers que je citerai.

De Swinburne à Rainer Maria Rilke, poète de langue allemande, la liste est belle de ceux qui ont rendu à notre langue l’hommage de lui soumettre leur talent. Je ne parle que pour mémoire d’hommes aussi célèbres que Gabriele d’Annunzio, pour citer ceux qui ont, d’une façon suivie et presque exclusive, écrit en français et sont devenus des poètes tout français. A côté des Flamands, des Van Lerberghe, des Maeterlinck, des Verhaeren, je nommerai Jean Moréas, Stuart Merrill, mon vieux camarade, et, enfin, Francis Vielé-Griffin.

Vielé-Griffin était né aux Etats-Unis. Son père, général de l’armée du Nord, pendant la guerre de Sécession, était au siège de Charlestown au moment de sa naissance. Francis Vielé-Griffin vint en France de très bonne heure pour y faire ses études ; il fut l’ami très intime d’Henri de Régnier, et nous l’avons connu, parmi les fidèles de Mallarmé, dans le milieu si ardent et si intéressant du Symbolisme, poursuivant la recherche poétique qui était si variée en ce temps-là. Il s’essayait alors à combiner certaines qualités de la poésie anglo-saxonne, qui sont rares dans la nôtre, avec les modes de celle-ci. Après avoir fait, comme il sied, des vers réguliers, il a trouvé dans les vers libres des accents délicieux.