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caractérisée par la puissance expressive spontanée qu’elle déchaîne est l’essence de la poésie. Mais la tâche du poète ne peut consister à se contenter de la subir. Ces expressions, jaillies de l’émoi, ne sont qu’accidentellement pures, elles emportent avec elles bien des scories, contiennent quantité de défauts dont l’effet serait de troubler le développement poétique et d’interrompre la résonance prolongée qu’il s’agit enfin de provoquer dans une âme étrangère. Car le désir du poète, si le poète vise au plus haut de son art, ne peut être que d’introduire quelque âme étrangère à la divine durée sa vie harmonique, pendant laquelle se composent et se mesurent toutes les formes et durant laquelle s’échangent les répons de toutes ses puissances sensitives et rythmiques.

L’inspiration, mais c’est au lecteur qu’elle appartient et qu’elle est destinée, comme il appartient au poète d’y faire penser, d’y faire croire, de faire ce qu’il faut pour qu’on ne puisse attribuer qu’aux dieux un ouvrage trop parfait, ou trop émouvant pour sortir des mains incertaines d’un homme. L’objet même de l’art et le principe de ses artifices, il est précisément de communiquer l’impression d’un état idéal dans lequel l’homme qui l’obtiendrait serait capable de produire spontanément, sans effort, sans faiblesse, une expression magnifique et merveilleusement ordonnée de sa nature et de nos destins.