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l’esprit, un discours singulièrement sûr de soi, pourvu de ressources continuelles, d’une harmonie constante et d’idées toujours heureuses, un discours qui ne cesse de charmer, où ne se trouvent point d’accidents, de marques de faiblesse et d’impuissance, où manquent ces fâcheux incidents qui rompent l’enchantement et ruinent l’uni­vers poétique dont je vous parlais tout à l’heure.

Ce n’est pas qu’il ne faille, pour faire un poète, quelque chose d’autre, quelque vertu qui ne se décompose pas, qui ne s’analyse pas en actes définissables et en heures de travail. Le Pégase-Vapeur, le Pégase-Heure ne sont pas encore des unités légales de puissance poétique.

Il y a une qualité spéciale, une sorte d’énergie individuelle propre au poète. Elle paraît en lui et le révèle à soi-même dans certains instants d’un prix infini.

Mais ce ne sont que des instants, et cette énergie supérieure (c’est-à-dire telle que toutes les autres énergies de l’homme ne la peuvent composer et remplacer), n’existe ou ne peut agir que par brèves et fortuites manifestations. Il faut ajouter, - ceci est assez important, - que les trésors qu’elle illumine aux yeux de notre esprit, les idées ou les formes qu’elle nous produit à nous-mêmes sont fort éloignés d’avoir une valeur égale aux regards étrangers.

Ces moments d’un prix infini, ces instants qui donnent une sorte de dignité universelle aux relations et aux intuitions qu’ils engendrent sont non moins féconds en valeurs illusoires ou incommunicables. Ce qui vaut pour nous seuls ne vaut rien. C’est la loi de la Littérature. Ces états sublimes sont en vérité des absences dans lesquelles se rencontrent des merveilles naturelles