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production poétique est un pur effet du hasard, ou bien qu’elle procède d’une sorte de communication surnaturelle ; l’une et l’autre hypothèse réduisent le poète à un rôle misérablement passif. Elles font de lui ou une sorte d’urne en laquelle des millions de billes sont agitées, ou une table parlante dans laquelle un esprit se loge. Table ou cuvette, en somme, mais point un dieu, - le contraire d’un dieu, le contraire d’un Moi.

Et le malheureux auteur, qui n’est donc plus auteur, mais signataire, et responsable comme un gérant de journal, le voici contraint de se dire :« Dans tes ouvrages, cher poète, ce qui est bon n’est pas de toi, ce qui est mauvais t’appartient sans conteste. »

Il est étrange que plus d’un poète se soit contenté, - à moins qu’il ne se soit enorgueilli, - de n’être qu’un instrument, un médium momentané.

Or, l’expérience comme la réflexion nous montrent, au contraire, que les poèmes dont la perfection complexe et l’heureux développement imposeraient le plus fortement à leurs lecteurs émerveillés l’idée de miracle, de coup de fortune, d’accomplissement surhumain (à cause d’un assemblage extraordinaire des vertus que l’on peut désirer mais non espérer trouver réunies dans un ouvrage), sont aussi des chefs-d’œuvre de labeur, sont, d’autre part, des monuments d’intelligence et de travail soutenu, des produits de la volonté et de l’analyse, exigeant des qualités trop multiples pour pouvoir se réduire à celles d’un appareil enregistreur d’enthousiasmes ou d’extases. On sent bien devant un beau poème de quelque longueur, qu’il y a des chances infimes pour qu’un homme ait pu improviser sans retours, sans autre fatigue que celle d’écrire ou d’émettre ce qui lui vient à