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sans compter les règles conventionnelles. Voyez quel effort suppose l’entreprise de mener à bonne fin un discours où tant d’exigences doivent se trouver miraculeusement satisfaites à la fois.Ici commencent les opérations incertaines et minutieuses de l’art littéraire. Mais cet art nous offre deux aspects, il a deux grands modes qui, dans leur état extrême, s’opposent, mais qui, toutefois, se rejoignent et s’enchaînent par une foule de degrés intermédiaires. Il y a la prose et il y a le vers. Entre eux, tous les types de leur mélange ; mais c’est dans leurs états extrêmes que je les considérerai aujourd’hui. On pourrait illustrer cette opposition des extrêmes en l’exagérant quelque peu : on dirait que le langage a pour limites la musique, d’un côté, l’algèbre, de l’autre.

J’aurai recours à une comparaison qui m’est familière pour rendre plus facile à saisir ce que j’ai à dire sur ce sujet. Un jour que je parlais de tout ceci dans une ville étrangère, comme je m’étais servi de cette même comparaison, je reçus, de l’un de mes auditeurs, une citation fort remarquable qui me fit voir que l’idée n’était pas nouvelle. Elle ne l’était du moins que pour moi.

Voici la citation. C’est là un extrait d’une lettre de Racan à Chapelain, dans laquelle Racan nous apprend que Malherbe assimilait la prose à la marche, la poésie à la danse, comme je vais le faire tout à l’heure :

« Donnez, dit Racan, tel nom qu’il vous plaira à ma prose, de galante, de naïve, d’enjouée. Je suis résolu de me tenir dans